samedi 21 décembre 2024

Démonétisation : le coup de couteau dans le dos de la zone euro de la BCE

Il y a deux ans et demi, alors que je pointais que plus d’un quart de la dette publique française était détenue par la Banque de France, et un peu la BCE, se posait la question de la continuité, ou non, de ces politiques. Alexandre Lohmann, un économiste, a montré que le bilan de l’eurosystème a reculé de 30% depuis. Un « durcissement quantitatif » monétaire, ou démonétisation, qui va s’accélérer à partir du 1er janvier avec la fin complète des rachats de créances échues, et qui pose un double problème.

 


Contre temps économique et politique

 

Les faucons de l’eurosystème avaient sans doute beau jeu d’annoncer la fin des programmes de rachat des dettes publiques de la zone euro il y a deux et demi, alors que l’inflation atteignait des sommets inédits depuis longtemps, même s’il était possible de comprendre que le choc était purement conjoncturel. Le rachat de dettes publiques par les banques centrales européennes (principalement nationales, à la requête de Berlin) avait été le moyen pour l’eurosystème de faire baisser les taux auxquels se financent les États, notamment dans les moments de crise, mais aussi, d’une moindre mesure, les entreprises et les banques. Comme le graphe déniché par Alexandre Lohmann le montre bien, cette pratique a été testée pendant la crise de 2008-2009, puis lors de la crise de la zone euro, avant d’être systématisée après la crise grecque, jusqu’en 2019, avant d’être réutilisée pendant la crise sanitaire de 2020.

 

C’est ce qui a permis aux Etats, aux entreprises et aux particuliers d’emprunter à des taux historiquement bas, facilitant le financement des déficits et diminuant le coût du financement de la dette. Bien sûr, cette pratique a l’inconvénient de nourrir des bulles en facilitant le financement de tous les projets, même les plus extravagants. Mais dans un pays comme le Japon, elle a permis une monétisation de plus de la moitié de la dette publique, sans créer d’excès d’inflation. Dans une zone euro dogmatiquement hostile à l’inflation, le rebond inflationniste post crise sanitaire, comme on pouvait le craindre, a provoqué un abandon des politiques de monétisation, autrement appelée « assouplissement quantitatif ». Dans un premier temps, à échéance des titres rachetés, les banques centrales en achètent moins, diminuant la taille de leur bilan. En janvier, nous devrions entrer dans une nouvelle phase, sans le moindre rachat à échéance.

 

Autant dire que dans le contexte actuel, il s’agit d’une faute économique majeure de l’eurosystème. L’inflation est revenue à un niveau acceptable et surtout, la croissance de la zone euro s’est effondrée et les deux premières économies de la zone euro montrent des signes de faiblesse très préoccupants. Aujourd’hui n’est vraiment pas le moment, même pour les faucons monétaristes les plus obtus, de réduire l’intervention des banques centrales sur le marché des dettes publiques de la zone euro. Comme le pointe Alexandre Lohmann, cela va provoquer une hausse des taux et des écarts de taux entre pays qui risque d’accentuer la crise économique actuelle, sans qu’il y ait la moindre justification pour le faire. Cela est particulièrement inquiétant pour un pays comme le nôtre, où l’austérité budgétaire se met en place. Ce faisant, l’action de l’eurosystème va accentuer un ralentissement économique déjà très fort.

 

Outre une faute majeure de politique économique, cela pose clairement la question de la responsabilité politique d’une telle décision. Ces choix sont trop importants pour nos économies pour qu’ils soient confiés à l’appréciation de technocrates, dont même les partisans reconnaissent les terribles biais. La monétisation des dettes publiques devrait être un choix politique, qui pourrait être discuté, et même éventuellement voté au Parlement dans une démocratie qui fonctionnerait bien. Sortir cet instrument majeur de politique économique du champ démocratique est profondément choquant démocratiquement. Et cela l’est d’autant plus quand les technocrates qui nous dirigent prennent d’aussi mauvaises décisions qui vont accentuer notre crise économique sans la moindre justification. Comme au Japon, un tel choix devrait revenir au gouvernement, et la banque centrale devrait se limiter à exécuter ses choix.

 

Ce faisant, ce choix effarant de l’eurosytème pose à nouveau la question de la sortie de l’euro. Libre à un pays de vouloir démonétiser sa dette, et à d’autres de suivre un autre chemin : nous verrions bien quel choix est le plus pertinent. La monnaie unique impose une politique taille unique, particulièrement mauvaise pour la France et pour couronner le tout, cette politique est décidée par des technocrates irresponsables.

18 commentaires:

  1. Vous allez refaire un article sur la sortie de l'Euro chaque semaine pendant les 30 années à venir, sachant parfaitement que cela ne se fera pas?

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  2. herblay
    Votre article contient un certain nombre de contre-vérités.
    "L’inflation est revenue à un niveau acceptable"
    Non! Les dernières données européens font état d'une inflation "core" annuelle de 2.7%, supérieure à tous les objectifs. Même aux USA la FED s'est montrée très prudente en réduisant le nombre de baisses de taux prévues en 2025. Nous sommes loin d'être sortis de l'épisode de forte inflation déchaîné dans tout l'Occident par la très forte monétisation post Covid.

    "la croissance de la zone euro s’est effondrée "
    Non. Les données finales de la Commission Européenne (3^ trimestre 2024 ) font état d'une forte amélioration par rapport à 2023 avec hausse de 1% versus le même trimestre 2023. Aucun effondrement mais de clairs signes de reprise et de croissance positive et en accélération.

    "Cela est particulièrement inquiétant pour un pays comme le nôtre, où l’austérité budgétaire se met en place."
    Parler d'austérité budgétaire dans un pays comme la France, qui vient de subir une dégradation de la note sur sa dette, passée sous Macron de 2200 milliards à 3300 milliards, et détenue à 53% par des investisseurs étrangers, n'est pas seulement faux: c'est surtout grotesque et caricatural. (à moins que vous ne fassiez du sarcasme, qui sait ?)

    "La monétisation des dettes publiques devrait être un choix politique, qui pourrait être discuté, et même éventuellement voté au Parlement "
    Si ce choix doit être retiré des mains des technocrates, comme vous dites, ce n'est certainement pas pour être confié aux élus. Et ceci pour deux raisons:
    1° l'incompétence de la plupart d'entre eux qui s'est illustrée dans le parcours désastreux de l'économie tricolore et dans la plus forte perte européenne de revenu médian national après inflation depuis 2000
    2° l'intérêt que les élus portent à un budget étatique de plus en plus faramineux, qui leur confie de plus en plus de pouvoir et d'occasions d'enrichissement personnel.

    Je suis par contre favorable à une consultation populaire (referendum) qui demande clairement si les citoyens français veulent incrémenter la dette publique (en dégradant ultérieurement le jugement des agences de notation, donc les intérêts payés aux investisseurs internationaux qui détiennent en majorité notre dette).

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    1. @ Anonyme

      Comme toujours, vos assertions sont partielles et partiales :
      1- Inflation : l’inflation de la zone euro est tombée à 2% en rythme annuel au mois d’octobre, soit l’objectif de la BCE (source : The Economist, economic & financial indicators ; comme toujours, on attend vos sources, dont l’absence dit long sur vos méthodes…). La récente baisse des taux de la BCE montre bien qu’il n’y a plus la moindre inquiétude sur le sujet. Le comportement différent de la Fed vient tout simplement du fait qu’il y a de la croissance outre-Atlantique
      2- De clairs signes de reprise de la zone euro ? Dans le monde parallèle des prévisions de la commission européenne, sans doute. Dans la réalité, le PIB de l’Allemagne recule cette année, encore, les prévisions de croissance de la France sont revues à la baisse. Rendez-vous dans quelques mois pour voir ce que donnera 2025. Après les modestes 0,8% de croissance de 2024, on peut penser que 2025 sera encore moins bon. Et je persiste : effondrement par rapport au rebond post-covid, au contraire des USA qui conservent une bonne dynamique
      3- La dégradation de la note va accentuer la pression pour l’austérité présentée par Barnier. Et Bayrou a toujours eu un discours favorable à l’austérité, qui va peser sur la croissance de 2025
      4- Et l’incompétence des hauts fonctionnaires qui gèrent la monnaie européenne, qui ont fait tellement de choix absurdes, tel Trichet qui avait propulsé l’euro à 1,6 dollar en 2008, au sortir de la crise financière de 2008-2009, la montée trop forte et trop rapide des taux récemment.
      5- C’est aux partis de présenter leurs choix en amont et aux Français de trancher, imposant des accords entre partis pour créer une majorité parlementaire

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    2. "C'est au français de trancher": idée farvelue concernant la politique monétaire. Les français sont paresseux et choisiront toujours le chemin de la facilité: "dépensons maintenant et laissons les générations suivantes s'occuper des conséquences!"

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    3. Quand ils choisissent Macron en 2017 ou en 2022, c'est le choix inverse qu'ils font...

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    4. Ce sont évidemment les gilets jaunes qui représentent le comble de l’indécence: non seulement ils ont un niveau de vie très au-dessus de ce qu’ils méritent mais en plus, ils osent se plaindre! Mais quelle indécence et quelle honte!

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    5. laurent HERBLAY
      "l’inflation de la zone euro est tombée à 2% en rythme annuel"
      Le chiffre surveillé par les économistes est plutôt l'inflation "core" c'est à dire sans les produits alimentaires, énergétiques, ou régulés par l'état.
      Et ce chiffre est de 2.7% en octobre 2024. Trop haut.

      "De clairs signes de reprise de la zone euro ? "
      Oui.
      0.3% au premier trimestre 2024, contre 0.1% en 2023.
      0.2% au deuxième trimestre 2024, contre 0.1% en 2023
      0.4% au troisième trimestre 2024, contre -0.1% en 2023
      les faibles performances de France et Allemagne sont plus que compensées par des pays plus dynamiques (et moins taxés) comme la Pologne (+4%) et l'Espagne (+3%) (source Eurostat)

      "La dégradation de la note va accentuer la pression pour l’austérité"
      Quelle alternative ? Continuer à creuser la dette d 50% à chaque mandat comme l'a fait Macron, jusqu'à devoir payer des taux d'intérêt astronomiques ? D'ores et déjà la France doit payer 3.05% sur sa dette à 10 ans (contre 3.02% de la Grèce) et 2.48% sur sa dette à 5 ans (contre 2.4% de la Grèce). Faudra (comme en Grèce) l'FMI pour mette tout cela en ordre ?

      "Et l’incompétence des hauts fonctionnaires qui gèrent la monnaie européenne"
      Si ces hauts fonctionnaires étaient incompétents, tous les pays européens seraient en difficulté.
      Mais ce n'est pas le cas, d'autres pays vont bien, alors que la France perd toujours plus en revenu médian réel, comme vous avez vous même remarqué à juste titre dans un autre billet.

      "C’est aux partis de présenter leurs choix en amont et aux Français de trancher, imposant des accords entre partis"
      les français ont tranché à deux reprises, mais le président refuse de tirer les conséquences

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    6. @ Anonyme

      Inflation : je répète, à 2% sur un an en octobre, il n’y a plus d’inquiétude. D’ailleurs, s’il y avait la moindre inquiétude, la BCE ne baisserait pas les taux. Et plus globalement, l’inflation baisse. Sinon, ce serait bien que vous indiquiez vos sources, pour une fois.

      Reprise : une reprise moyennisée sur 20 pays n’a qu’un sens limité quand les trois premières économies du bloc vont mal. L’Allemagne, la première, voit son PIB reculer pour une deuxième année consécutive. La France ne prend pas non plus une bonne direction. Et l’Italie stagne, au mieux, depuis trop longtemps… L’Espagne s’est en partie sauvée par la sortie du marché européen de l’électricité, lui permettant d’avoir un prix plus bas que les voisins, et donc de continuer à attirer les entreprises. La hausse du SMIC a permis de soutenir la croissance en assurant un partage plus juste de la croissance. La Pologne profite des délocalisations et des subsides de l’UE

      Quelle alternative : relancer l’économie et monétiser la dette publique pour s’abstraire de la pression des marchés, comme l’a fait le Japon de Shinzo Abe

      Les pays européens occidentaux ont décroché depuis 20 ans par rapport aux autres pays occidentaux, signe que la zone euro est mal gérée par la commission et la BCE. Bien d’accord pour dire que c’est pire chez nous qu’ailleurs, mais ce n’est pas brillant dans la majorité de la zone euro

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    7. INFLATION
      https://tradingeconomics.com/euro-area/core-inflation-rate
      L'inflation core est 2.7% en novembre
      Vous parlez sans doute du chiffre qui inclut énergie et autres prix règlementés très volatile, qui change à peu près tous les mois, qui a baissé suite à la forte baisse du prix du pétrole, mais qui reste tout de même à 2.2%. Au dessus des objectifs.

      REPRISE
      https://tradingeconomics.com/country-list/gdp-annual-growth-rate?continent=europe
      la croissance européenne en 2023 a été négative, en 2024 elle est positive, donc on ne peut pas parler d'effondrement comme vous le faites dans votre billet. Et à l'exception de l'Allemagne, pénalisée par le sabotage du North Stream (dont on attend encore de connaître les responsables) et d'une petite poignée de pays mineurs, tous les autres nations européennes ont retrouvé le chemin d'une croissance positive.

      ALTERNATIVE
      "monétiser la dette publique pour s’abstraire de la pression des marchés, comme l’a fait le Japon de Shinzo Abe"
      Vous ignorez peut-être que la Banque Centrale paie aux banques privées un intérêt sur les fonds qu'elles lui prêtent pour qu'elle puisse "monétiser la dette publique" .
      Certes, au Japon la dette publique est environ le double qu'en France (266% du PIB au lieu de 112%), mais le taux d'intérêt à 10 ans en France est le triple (3.05% au lieu de 1%). La charge de la dette est donc bien pire en France. Difficile de l'alourdir ultérieurement, surtout quand on voit les piètres performance au Japon, où la croissance est inférieure à presque tous les pays européens

      "Bien d’accord pour dire que c’est pire chez nous qu’ailleurs"
      Si c'est pire chez nous qu'ailleurs, le bon sens suggère de se rapprocher des politiques économiques plus libérales et moins taxées des autres pays européens, au lieu de persévérer dans l'erreur.

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  3. Il faut le dire et le répèter: la dette française vient du fait que les français (tous les français!!!) ont vécu depuis des décennies et vivent toujours très très loin au dessus de leurs moyens et très très loin au dessus de ce qu'ils méritent! Il faut donc en tirer les bonnes conclusions au lieu d'essayer d'inventer des maguilles pour que les conséquences soient le plus indolores possibles pour les français!
    Quand on fait une grande fête au restaurant, à la fin du repas, il faut payer l'addition! Les français ont vraiment profité à fond jusqu'à présent, maintenant il faut payer la facture des dernières 50 ans!

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  4. @ Anonyme

    « Les Français ont vraiment profité à fond jusqu’à présent » : dans un monde parallèle ? Les Français souffrent d’un chômage de masse depuis plus de 4 décennies. Le revenu médian a reculé de 21% depuis 2000. Plus d’austérité aurait accentué notre appauvrissement, en améliorant à peine notre situation financière (le PIB aurait été plus bas et il n’est pas sûr que la baisse de l’endettement aurait été significativement plus importante que la baisse du PIB, cf situation de l’Italie).

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    1. Il n'y a eu aucune austérité, bien au contraire!

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    2. Vraie austérité :
      - salaire des professeurs débutants passé de plus de 2 SMIC à à peine plus d’1, et plus généralement forte baisse du salaire des fonctionnaires
      - baisse du pouvoir d’achat des retraites de 10% en 15 ans
      - suppression de milliers de lits d’hôpitaux tous les ans
      - baisse du remboursement de frais de santé
      - 3 baisses successives des allocations chômage
      Vous vivez dans un monde parallèle ?

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    3. Comment se fait-il alors que le budget de l’État est tellement déficitaire si les français ne vivent pas au dessus de leurs moyens?

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    4. Si on voudrait que les français aient le pouvoir d’achat qu’ils méritent, il faudrait le baisser très fortement!

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    5. Les déficits ont plusieurs causes :
      1- Notre déficit commercial, très directement
      2- La désertion fiscale (qui a été estimée à 60 milliards il y a quelques années)
      3- Le laisser passer et laisser faire qui pousse à des politiques dites de l'offre qui réduisent considérablement les ressources fiscales
      4- Les politiques austéritaires qui compriment la demande, et, in fine, les recettes fiscales

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  5. Ce qui est inquiétant, comme le dit l'article du Figaro, c'est que la France n'a pas de gouvernement, pas de budget, qu'elle continue d'emprunter des sommes gigantesques, et tout ça alors que la BCE réduit son bilan en n'achetant plus de dettes souveraines. La dette française est détenue par des non-résidents à hauteur de 55 %, ce qui est une fragilité supplémentaire.

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