« Cela va faire de la bonne télévision ! » : c’est ainsi que Donald Trump a conclu l’échange avec Volodymyr Zelensky à la Maison Blanche. Si les tensions des dernières minutes resteront probablement dans l’histoire, c’est parce qu’une telle réunion n’aurait jamais dû se passer devant les journalistes. Elle a révélé la prévisible brutalité des États-Unis et de ses dirigeants actuels, les erreurs du président ukrainien, et l’interprétation totalement aberrante de bon nombre de journalistes et de nos dirigeants politiques.
Cow boys brutaux et nains médiocres, impuissants et divisés
Chose trop peu analysée, on peut penser que les États-Unis n’avaient rien à gagner à continuer à financer et aider l’Ukraine à poursuivre la guerre. D’abord, malgré l’aide, la Russie a de plus en plus l’avantage, et on peut craindre que Moscou ne cesse de renforcer sa position à l’avenir, en profitant de sa taille bien supérieure, et des hommes qui vont avec. Il faut reconnaître qu’aujourd’hui, l’Ukraine semble dans une impasse. En outre, ce conflit a rapproché Moscou de Pékin, et renforcé les initiatives d’autonomisation des BRICS du dollar, risquant d’affaiblir la prise globale de Washington sur le monde, dont la sphère d’influence se réduit. Avec une Russie soucieuse de ne pas devenir un satellite de l’Empire du milieu, Washington peut avoir intérêt à prendre une position plus neutre, pour éloigner Moscou de Pékin. Dans la même logique, comme l’a bien montré cette conférence de presse, Donald Trump s’intéresse de près aux terres rares, sans doute dans l’objectif d’être moins dépendant de la Chine pour ces matières premières critiques.
Bref, il est probable que ce soit le simple calcul diplomatique froid, et sans état d’âme, qui ait motivé le choix de Donald Trump de changer de position. Bien sûr, c’est cruel pour un pays comme l’Ukraine, agressé, et en guerre, qui a perdu le contrôle d’un cinquième de son territoire. Mais les États-Unis ont montré par le passé qu’ils n’avaient aucun état d’âme pour agir uniquement en fonction de leurs intérêts, renversant des dirigeants élus pour installer des dictateurs. Les interventions au Moyen Orient étaient largement motivées par des enjeux de politique intérieure et d’accès au pétrole. Washington a interdit aux entreprises occidentales de faire des affaires en Iran, tout en aidant les entreprises yankees à prendre les places perdues. Le rachat d’Alstom a été fait dans des conditions qui relèvent de la guerre économique, selon un ancien dirigeant du groupe, Frédéric Pierucci. Et que dire du blocus fait à Cuba, qui n’a aucune justification. En clair, les USA ont toujours été brutaux. La différence avec Trump et Vance, c’est qu’ils ne mettent plus les formes. Mais c’est sous Obama que BNP Paribas a été rançonnée, et Alstom rachetée et dépouillée.
Et malheureusement, il y avait du vrai dans ce qu’ont dit Trump et Vance, même si leur comportement de brutes n’était ni glorieux, ni utile, et pourrait être franchement contre-productif, en continuant à éloigner une grande partie du monde de ce pays brutal et arrogant dont on veut de moins en moins être dépendant. Si l’Ukraine a perdu le 28 février, les États-Unis ont aussi perdu d’une autre manière, dans leur capacité d’influence du monde autrement que par la brutalité. Mais, même s’il est inutile et brutal de le dire au monde de la sorte, il est vrai que Zélensky n’a plus les cartes en main aujourd’hui. Son jeu est, pour partie, celui que lui donne ses soutiens, et son principal soutien le lui retire. Et il est aussi vrai, comme le soulignent Jacques Sapir et Georges Kuzmanovic, que Zélensky a fait beaucoup d’erreurs dans cette réunion. D’abord, il a accepté que ce ne soit pas un huit-clos, suivi d’une conférence de presse. Ensuite, même s’il l’avait déjà fait dans le passé, il aurait été plus habile, et même normal, de remercier fortement son hôte, qui a permis à son pays de résister, coupant l’herbe sous le pied du très agressif Vance.
Zelensky ne semblait pas avoir préparé solidement la réunion. Face aux dirigeants des États-Unis, dans le bureau du président, face aux médias, il était critique de prendre en compte la posture de Trump vis-à-vis de ses électeurs, de même que le caractère du personnage. Le président ukrainien a gravement manqué d’intelligence relationnelle en lui parlant comme aux dirigeants européens, en attaquant violemment Poutine (même si cela est légitime), en ne jouant pas sur son ego et en oubliant un couplet de grands remerciements pour la force du soutien de Washington, qui a permis à l’Ukraine de ne pas complètement s’effondrer. De même, il était essentiel de prendre en compte les objectifs et le discours de Trump, qui souhaite une paix rapide. En fait, Zelensky n’a pas abordé cette réunion en prenant en compte les vrais rapports de force, ce qui a poussé Trump à les lui rappeler brutalement, et a largement ignoré les motivations de ses interlocuteurs face à leurs médias, suscitant un rappel à l’ordre brutal et humiliant.
Ce faisant, Donald Trump a serré la corde autour du cou de l’Ukraine dans les jours suivants, poussant le président ukrainien à un changement très significatif d’attitude par rapport aux échanges du 28 février. Ce faisant, cela a démontré qu’il n’avait pas les cartes en main, mais aussi que les pays européens ne les avaient pas non plus, derrière les rodomontades des uns et des autres. Trois ans après le début de la guerre, les pays européens ne sont pas capables de remplacer le soutien des Etats-Unis, qui restent les seuls à pouvoir décider de la suite des évènements. Les gesticulations de cette semaine sont assez dérisoires sachant qu’en trois ans, l’UE n’a pas été capable de se mettre en position de suppléer les USA. Les pays européens ne pèsent pas grande chose aujourd’hui. En outre, Keir Starmer a bien précisé qu’aucun accord ne pourrait être trouvé sans Washington. Et Rome ne semble guère enclin à la rupture avec l’Oncle Sam. Et si Berlin marque une volonté de rééquilibrage, nous savons depuis 1963 que les Allemands ne font généralement que flirter avec le Rubicon. Que pèsent vraiment les jusqu’au-boutistes ?
Il faut dire que depuis le début, la construction européenne est en réalité une « europe américaine », et pas une « europe européenne », pour reprendre les mots du Général. Même les traités européens évoquent que le cadre de la défense du continent est l’OTAN, une organisation totalement dirigée par Washington. Ce sont bien les concepteurs du machin européen qui ont fait qu’aujourd’hui, les protestations de certains dirigeants européens ne sont que des gesticulations vaines et cosmétiques, qui ne changeront rien. D’ailleurs, il est probable que la paix sera signée entre Washington, Moscou et Kiev, sans même nous inviter à la table… Cela ne plaide pas pour un renforcement de la défense européenne, car dans le cadre actuel, elle resterait sous influence états-unienne. On pourrait craindre qu’une trop grande partie des dépenses militaires nouvelles finissent par enrichir les entreprises de l’Oncle Sam, pour rééquilibrer nos échanges commerciaux, au détriment de nos industriels. Plus d’europe n’est pas la bonne voie car nos intérêts sont beaucoup trop divergents pour permettre une mise en commun continentale.
Bien sûr, cette mauvaise émission de télé-réalité restera sans doute dans l’histoire. L’Ukraine y a largement perdu ses dernières illusions. Mais si l’Oncle Sam y a amélioré sa relation avec la Russie, il pourrait avoir abîmé sa relation avec une partie des pays qui lui étaient proches. La diplomatie n’est pas faite pour faire un show télévisuel, et on peut penser que les acteurs principaux de ce mauvais épisode y ont tous perdu, à moins que les électeurs républicains aient apprécié la prestation de leurs dirigeants.
C'est comme cela avec des dirigeants populistes médiocres...
RépondreSupprimerDe cette entrevue les "européistes ont dejà tiré un bénéfice,celui d'avancer un peu plus vers la dictature de Bruxelles et d'engager un peu plus la France vers la soumission et son démentèlemen(abandon de notre souveraineté militaire avec la mise en commun de notre force nucléaire, retour vers la CED);gros avantages pour nos politiciens professionnels: faire oublier , leur piètre gestion èconomique et leur goût pour la dictature: glorification du nazisme en Ukraine et dans les pays baltes ne les gêne pas. Trump a le gros défaut pour eux de mettre en avant son mépris pour la soumission,la reptation de nos"responsables" ,ça se voit trop. Mais nos dirigeants ne doivent pas être surpris ,rappelez vous le repli américain en Afghanistan nous laissant là-bas sans avertissement????Ici les médiocres ne sont pas en Amérique mais en Europe...
RépondreSupprimerJ'ai halluciné de l'intervention de Macron.
RépondreSupprimerOn se croirait revenu du futur en 1981, quand Alain Peyrefitte nous prédisait les chars russes à Strasbourg si jamais Mitterrand était élu.
Certain ont véritablement fait caca à leur culotte quand les 4 ministres communistes ont été nommés.
Dans mon coin, j'ai vu des papys abreuvés de C-Niouzes et LCI paniquer. Ces médias abrutissement véritablement leur public, quoique manifestement il était déjà con avant de les regarder...
Et encore, en 1981, il y avait un peu de logique : le rideau de fer était à 310 Km de Lauterbourg, distance de la pointe de l'Alsace avec Aš, ville tchèque la plus à l'ouest. Maintenant, les Russes ne sont même plus à Kiev...
Le niveau de connerie, dans ce pays, est désespérant...
« Mais, même s’il est inutile et brutal de le dire au monde de la sorte, il est vrai que Zélensky n’a plus les cartes en main aujourd’hui. »
RépondreSupprimerBrutal peut-être, mais inutile sûrement pas !
Zelensky s'était habitué à recevoir partout où il passe les félicitations et les encouragements de ses interlocuteurs.
Et voilà que les Américains (merci à eux !) lui font comprendre à leur manière un peu rude qu'il n'a plus de cartes dans son jeu, qu'il sacrifie des milliers de vies ukrainennes en pure perte et qu'il ne va pas gagner cette guerre : visiblement, il ne s'y attendait pas ! D'où son dépit et sa contrariété très visible à la fin de la réunion.
Je pense qu'il était temps que quelqu'un ramène Zelensky à la réalité de la situation de son pays plutôt que de lui répéter encore et toujours (comme le faisait le sénile Biden) qu'on allait l'aider à poursuivre indéfiniment un conflit dont il n'a aucune chance de sortir vainqueur (mais qui lui permet de se perpétuer au pouvoir). Et que cette vérité longtemps cachée par les politiciens et les médias néoconservateurs éclate enfin au grand jour.
Vous avez écrit dans votre précédent billet que la guerre de Poutine en Ukraine n'est pas une guerre de conquête, ce qui vous conduit à minimiser cette guerre et les conséquences qu'auront une capitulation de l'Ukraine. Je pense que vous commettez une grave erreur d'analyse.
RépondreSupprimerQuant à Trump, il est en train de décrédibiliser l'OTAN et de détruire l'ordre international, ce qui est jouer avec le feu.
anonyme de 8 mars 21h59
Supprimer"minimiser cette guerre et les conséquences qu'auront une capitulation de l'Ukraine."
admettons que l'Ukraine exsangue capitule et accepte les conditions de la Russie. (Donbass et Crimée, pas d'entrée dans l'OTAN)
Quelles seraient les conséquences pour la France ?
L'Ukraine a été gouvernée jusqu'en 2014 par le filo-russe Yanoukovitch.
Qui parlait alors en France de "menace russe" ?
ne voyez-vous pas que vous êtes victime d'une propagande qui utilise la guerre en Donbass pour effrayer les européens et organiser un autre "quoi qu'il en coûte", après celui du Covid, pour accroître les milliards d'argent public géré par les gouvernements ?
Si l'un de nous deux se laisse embobiner par de la propagande, ce n'est pas moi. Poutine est un maître en la matière.
Supprimeralors expliquez moi pourquoi jusqu'en 2014 personne ne s'inquiétait de la Russie, alors qu'elle contrôlait l'intégralité de l'Ukraine, grâce à son leader Ianoukovitch qui était aux ordres du Kremlin.
SupprimerQuand bien même la Russie arrivait maintenant à occuper toute l'Ukraine, on ne ferait que revenir à la situation de 2013, avec une Ukraine dans le bloc russe.
@ Marc-Antoine,
RépondreSupprimerPas inutile peut-être, mais le faire publiquement de la sorte était tout de même très brutal. Cela aurait pu être dit aussi fermement sans les journalistes, et être plus subtil en public, si jamais il n’avait pas bien compris…
@ Anonyme
Comme trop souvent, vous déformez à nouveau ce que je dis pour me critiquer, ce qui indique soit que vous manquez de rigueur, soit que, mal à l’aise sur votre argumentation, vous être contraint de déformer mes propos pour pouvoir les critiquer. Ce que j’ai dit, c’est « la guerre menée par la Russie de Poutine n’est pas la guerre de conquête menée par d’autres en d’autres temps ». Poutine n’est pas Hitler, cf précédent papier. Et quelles conséquences la continuation de la guerre ? Déjà, des milliers de morts…
Je pense que Trump ne fait qu’accélérer la prise de conscience du comportement des USA.
Je ne cherche pas à vous critiquer ni à déformer vos paroles.
RépondreSupprimerIl s'agit de savoir si la guerre en Ukraine se limite à un conflit régional sans conséquences durables, ou si elle s'inscrit dans un plan stratégique plus global de la Russie cherchant à revendiquer l'héritage soviétique. À mon avis, la seconde hypothèse est celle qui est correcte. Si je ne me trompe pas, la capitulation de l'Ukraine représente une très mauvaise nouvelle.
"si la guerre en Ukraine se limite à un conflit régional sans conséquences durables, ou si elle s'inscrit dans un plan stratégique plus global de la Russie cherchant à revendiquer l'héritage soviétique."
Supprimer1° ne croyez-vous pas que en 2022 la Russie aurait plutôt démarré son éventuel plan stratégique global par une invasion de la Finlande, dix fois moins peuplée que l'Ukraine, et comme l'Ukraine alors ne faisant pas partie de l'OTAN ?
2° ne croyez-vous pas que les armements nucléaires de l'OTAN représentent un obstacle insurmontable pour tout plan russe d'invasion des pays baltes, de la Pologne ou de la Roumanie, pays tous membres de l'OTAN ?
1° L'Ukraine faisait partie de l'URSS, pas la Finlande.
Supprimer2° Avec Trump, l'OTAN n'est plus ce qu'elle était...